transcription d’entretien – café curieux du 15/02/2025, en compagnie d’Antoine ARJAKOVSKY, historien et codirecteur du département de recherche Politique et Religions au Collège des Bernardins (paris 5ème) 

DÉMOCRATIE ET POLARISATION – Comment sortir de l’impasse ?

 

Le 15 février 2025, nous nous sommes retrouvés Collège des Bernardins avec Antoine Arjakovsky et une dizaine de Curieuses & de Curieux pour discuter de la question de la polarisation démocratique. Comment les réseaux sociaux peuvent-ils influer sur la vie politique, en Europe comme aux Etats-Unis ? Comment sortir de cette situation ou des opposés n’arrivent plus à communiquer ? Quelle emprise des technologies numériques dans nos vies et comment s’en affranchir ?

Cet article, rédigé sous forme de transcription sans filtre de nos échanges revient sur ce qui s’est dit ce jour sur ce sujet.

le collège des bernardins

Au Collège des Bernardins, notre démarche s’appuie sur une volonté de comprendre, organisée en trois grands départements :

  • le pôle Expositions, qui propose aussi du théâtre et des concerts ;
  • l’École cathédrale, qui est la plus vieille université au monde, ce dont nous sommes très fiers. Elle a été fondée au XIe siècle par Abélard, connu du monde entier parce qu’amoureux d’Héloïse – ce qui a à l’époque défrayé la chronique car il était alors impossible qu’un professeur entretienne ce type de relation avec une étudiante. Cette histoire a traversé les siècles, au point que leur tombe au cimetière du Père Lachaise est encore très visitée. L’École cathédrale était établie près de la Sorbonne et de Notre Dame ; encore aujourd’hui, les professeurs actuels sont des chanoines (c’est-à-dire des clercs qui remplissent une fonction d’enseignement).
    En son sein, 4 000 personnes suivent les cours en présentiel ou en distanciel. J’ai ainsi donné un cours vidéo intitulé « Reconstruire le monde », qui sera diffusé sous peu. Nous abritons aussi une faculté de théologie reconnue par le Vatican, comme au Moyen Âge ;
  • le pôle de Recherche, qui recouvre par exemple l’économie, les arts et l’éthique. Je m’occupe des questions politiques, dans le pôle Politique et Religions. C’est à la fois un endroit religieux, qui appartient à l’Église catholique, depuis le rachat à l’État et à la Mairie de Paris en 2008, et un lieu qui se donne pour mission la rencontre entre les grands enjeux du monde contemporain et la sagesse. En d’autres termes, notre question majeure est : comment réfléchir aux questions actuelles avec sagesse et discernement ?

Le terme sagesse ne se réfère pas seulement à la sagesse catholique, mais à une acception plus large. C’est ainsi que nous accueillons une yeshiva qui propose des cours autour du Talmud, ou des enseignants musulmans mais aussi des agnostiques, ou des personnes plus distantes vis-à-vis des approches religieuses. Notre objet est d’offrir un lieu de dialogue et de paix, où l’on s’écoute mutuellement.

J’interviens au collège depuis 2011, après avoir travaillé en Russie et en Ukraine pour le compte du ministère des Affaires étrangères et de l’ambassade de France à Moscou puis à Kiev. Après mon retour en France, je me suis occupé de questions de construction de la paix (peace building). En 2019, nous avons réuni des Russes de l’opposition, des Ukrainiens et des Européens, et avons conçu trente propositions pour la paix entre la Russie et l’Ukraine ; je suis allé les présenter au président Macron, à l’ambassade de France à Kiev. A l’époque, ce que pouvaient imaginer les chercheurs était accueilli dans la plus grande indifférence. Pour autant, nos constats d’alors rejoignaient ce qui paraît désormais évident ; il nous apparaissait ainsi que les négociations de Minsk ne pouvaient pas fonctionner, non plus que le couple franco-allemand, et que les pistes de résolution devaient s’élaborer au niveau européen.
A partir de 2022, nous avons été écoutés. Le 12 mars, notre prochaine conférence a pour thème « Quelles conditions de paix pour l’Ukraine ? », avec notamment Pierre Heilbronn, conseiller du président de la République.

Au Collège des Bernardins, nous conduisons une recherche engagée…
…en accueillant par exemple des syndicats tunisiens en 2013 et 2014, au moment des Printemps arabes. Ils ont réfléchi dans nos murs à une nouvelle Constitution pour la Tunisie, qui, l’année suivante, a été adoptée ; ils ont alors reçu le prix Nobel de la Paix. Parallèlement, nous proposions (et proposons toujours) un séminaire sur les grands enjeux géopolitiques en Méditerranée. Dans ce cadre, je travaille particulièrement sur des solutions de paix entre Israël et Palestine.

Autre champ de réussite : les déclarations inter-religieuses. En 1964, le concile Vatican II a abouti à une déclaration célèbre, « Nostra Ætate », par laquelle l’institution catholique demandait pardon aux Juifs d’avoir été antireligieuse et antisémite pendant des siècles. La communauté juive en a été satisfaite, tout en « demandant à voir ». En 2015, le grand Rabbin de Paris est venu au collège des Bernardins en affirmant être convaincu de la sincérité des Chrétiens et en prononçant une réponse mondiale de la communauté juive à la communauté chrétienne, la « Déclaration pour le Jubilé de Fraternité », qui a fait le tour du monde, avec notamment une traduction remarquée aux États-Unis .

Un de nos séminaires de recherche a également influé sur la loi Pacte, qui demande aux entreprises de définir leur mission, au-delà du seul profit financier.

 

 

démocratie & polarisation

Une crise démocratique 

Nous vivons aujourd’hui une crise démocratique. C’est ce qu’a montré à Munich le discours du vice-président américain, J.D. Vance, qui reproche aux Européens de ne pas être suffisamment démocrates. Boris Pistorius ministre allemand de la Défense, lui a rétorqué qu’au contraire, son pays défend la liberté d’expression. Derrière ce débat se déroule une guerre idéologique, aussi grave que celle déclarée en 2007 par Poutine (à Munich également). Il réfutait alors le monopole américain sur les relations internationales, en adoptant une posture assez menaçante ; il fallait tenir compte de la Russie. Quinze ans plus tard, nous avons vu où cela peut mener. Musk, Trump comme J.D. Vance tiennent un discours libertarien, hors de l’équilibre entre la liberté de choix et d’expression, et la liberté comme responsabilité, en d’autres termes l’équilibre entre droits et devoirs.

Le libertarisme préconise la liberté sous sa forme extrême : « Ce que je veux, où je veux, quand je veux », en association fréquente avec l’utilitarisme. La civilisation européenne considère au contraire que la démocratie ne peut exister sans définition du bien commun, et repose sur des principes qui s’expriment dans la Convention européenne des droits humains, de même qu’en France, la République repose sur la devise Liberté, Égalité, Fraternité. Cela fonde notre vivre ensemble et nos libertés institutionnelles, et se voit remis en cause fondamentalement par les Américains.

Un chercheur de l’Observatoire sur les États-Unis à l’Université du Québec à Montréal, Victor Bardou-Bourgeois décrit à ce propos une « polarisation asymétrique » : depuis 2016, et même avant, le parti républicain et le parti démocrate se radicalisent. Il en résulte qu’actuellement une minorité d’Américains, dans chaque camp, accepte de dialoguer avec l’autre. La majorité des électeurs démocrates considèrent n’avoir pas de valeurs communes avec les Républicains. Réciproquement, plus de 60% des électeurs républicains disent que leurs valeurs sont mises en danger par les Démocrates.

Information en continu, réseaux sociaux & algorithmes

Victor Bardou-Bourgeois l’explique en lien avec les chaînes d’information continue, Fox News, CNN, qui clivent de façon croissante. Je l’ai moi-même expérimenté : au début, j’allais volontiers sur les plateaux télé (ex : BFM) pour exposer le fruit de mes travaux. C’est désormais de moins en moins le cas, et j’ai publié à ce propos un article qui titre « Guerre en Ukraine, les rédactions hypnotisées par la propagande russe », où j’explique que les rédactions sont tétanisées au moindre froncement de sourcil de Poutine. La dépendance vis-à-vis des réactions de la Russie est telle que, en répercutant le moindre de ses messages, ils jouent le jeu de la propagande.
Cette naïveté a été particulièrement marquante au moment des pseudo élections en Russie : on ne peut pas parler d’élections quand tous les opposants sont emprisonnés, quand Navalny est assassiné, que les médias sont persécutés, etc. En dépit de cela, les élections russes ont été désignées comme « le sacre de Poutine ».

Deuxième élément d’explication : les réseaux sociaux et les algorithmes. Ainsi, dernièrement, en Roumanie, le candidat Cälin Georgescu, crédité de 3% d’intentions de vote, a fait un forcing sur Tiktok (6 millions de Roumains y ont un compte). Les élections ont finalement été annulées et reportées, car il a été prouvé qu’il a bénéficié des algorithmes. C’est ainsi qu’au premier tour, il a obtenu 25% des votes, asvec de fortes chances de l’emporter au second.

Aujourd’hui, le conflit idéologique libertarien contre les Démocrates et les Républicains, mais aussi le bouleversement du paysage numérique avec lFaceook, Twitter, et le bouton Retweet, ont potentialisé le phénomène et permettent de retransmettre des textes… que l’on n’a pas lus. C’est ce qu’observe le professeur de sociologie Dominique Boullier (dont nous reparlerons…).

 

Comment en est-on arrivé là ?

J’ai utilisé ChatGPT avec la question : « quelles solutions existent ou sont à inventer pour lutter contre la polarisation des sociétés, la montée des radicalisations et l’absence de régulation des réseaux sociaux ? Quels ouvrages recommandez-vous ? »
En un quart de seconde, j’ai reçu la réponse pour la régulation des réseaux sociaux : la transparence algorithmique. Pour lutter contre la désinformation, ChatGPT conseille de renforcer la modération des fake news, de même que la responsabilité des plateformes en rendant les entreprises de la tech responsables des contenus. Pour désintensifier les bulles de filtre, il conviendrait de développer des algorithmes qui favorisent la diversité des points de vue au lieu de renforcer les croyances existantes. D’autres propositions sont faites en faveur de l’éducation et de la culture du débat, des réponses politiques et sociales, de l’encouragement des médias indépendants et de l’expérimentation de nouvelles formes de gouvernance.
Plusieurs références bibliographiques sont mentionnées, dont How Democracies Die, de Steven Levitsky et Daniel Ziblatt, paru aux États-Unis en 2018 et traduit chez Calmann Lévy en 2019. L’ouvrage explique comment les partis républicain et démocrate se sont radicalisés. Retenons la conclusion : pour changer la donne, il faut des partis capables de consensus et de médiation. En France, le problème est similaire : depuis les dernières élections après la dissolution de l’Assemblée, les partis de gauche et d’extrême gauche, du centre, de droite et d’extrême droite ne parviennent pas à dialoguer et à trouver des consensus, et on peine à adopter un budget, même dans le cadre d’un scrutin majoritaire.

Face à la radicalisation, Ziblatt et Levitsky préconisent de s’inspirer de l’histoire de l’Europe d’après-guerre, qui a vu la constitution de partis démocrates-chrétiens. Ils écrivent que « la reconstruction du centre droit allemand est instructive pour le GOP [ Grand Old Party républicain ]. Comme le firent les responsables de la CDU en Allemagne, les Républicains doivent aujourd’hui expulser les extrémistes de leurs rangs, rompre sans ambiguïté avec l’orientation autoritaire et nationaliste blanche de l’administration Trump, et trouver un moyen d’élargir la base du parti, au-delà des Chrétiens blancs. La CDU peut, à cet égard, servir de modèle. » Leur suggestion au parti démocrate est similaire : ils se sont radicalisés avec le programme DEI (diversité, égalité, inclusivité), en cherchant à réaliser un assemblage des minorités, mais cela a polarisé le champ politique. C’est au contraire en marginalisant les extrêmes et en recherchant des bases de consensus qu’on peut avancer.
En France comme en Allemagne, après la seconde guerre mondiale, la démocratie chrétienne y est parvenue, avec De Gaulle, Schuman et d’autres, à l’occasion de la construction européenne, de la décolonisation, de l’édification de la Sécurité sociale, etc.

Pour en revenir aux réponses de ChatGPT, deux manques m’ont frappé. D’une part, la réponse législative n’est jamais évoquée ; or, la pression exercée par Musk face au Commissaire européen Thierry Breton est possible, justement, dans la mesure où, à partir des années 2020, les Européens ont légiféré, notamment avec le Digital Services Act et le Digital Market Act, qui s’en prennent à l’impunité des plateformes. Cette absence nous interroge et nous amène à approfondir notre réflexion.
D’autre part, un auteur n’est pas mentionné par ChatGPT : Dominique Boullier. Une de ses notes a été publiée par Sciences Po sur Internet, en juin 2024 « Social Media Reset – Réinventer l’infrastructure numérique des propagations pour couper les chaînes de contagion ».

Cela nous amène à examiner le grand bouleversement que constitue la guerre idéologique entre libertariens et républicains. Elle est liée à un changement de paradigme économique. Dominique Boullier et Yves Citton (sociologue de Paris VIII), que nous avons reçus au collège des Bernardins, disent que, depuis dix ou quinze ans, nous sommes passés d’une économie de la production capitaliste fondée sur les hydrocarbures, à une économie de l’attention fondée sur les datas. Il y a vingt ans, les grandes entreprises cotées au CAC 40 et à la bourse de New York étaient représentées par Shell, British Petroleum, Total, etc. Aujourd’hui, ce sont Apple, Amazon, Microsoft et autres.

D’où l’émergence d’une nouvelle discipline scientifique : la captologie.

 

la captologie

Un bouleversement épistémologique qui associe émotion et intelligence

Cette discipline montre que la richesse à la base de l’économie capitaliste du XXIe siècle, notamment le capitalisme financier hyper véloce, s’appuie sur notre attention, notre temps de cerveau disponible. C’est là une richesse absolue, car elle décide de nos choix économiques et commerciaux. La théorisation de cette problématique qui fait à présent l’objet d’une science, la captologie. Aux États-Unis, en 2020, l’informaticien et éthicien Tristan Harris réalise un film, « The Social Dilemma – How Technology is Hijacking Your Mind ». Il a notamment travaillé comme designer pour Google sur les questions éthiques, avant de se révolter et de publier de nombreux articles critiques. Il nous conseille d’ouvrir les yeux sur la façon dont la captologie a réussi à percer le fonctionnement de nos cerveaux et en donne dix règles :

  • Si vous contrôlez le menu, vous contrôlez les choix. Ainsi, au restaurant, une fois le menu en main, nous ne pensons pas à autre chose qu’aux choix proposés, qui nous orientent a priori.
  • Mettez une machine à sous dans chaque poche, et donnez des récompenses.
  • Veillez à ce que chacun ait peur de rater quelque chose d’important car cela permet de capter encore davantage l’attention…
  • .. Et d’autres recommandations fondées sur le souci de la réciprocité sociale, de la réputation, etc.

Selon la captologie, notre intelligence est reliée à l’émotion. C’est un point épistémologique nouveau et déterminant, car depuis Kant, la modernité sépare l’émotion de la rationalité, la transcendance de l’immanence, et la chose en soi de nos décisions rationnelles. Actuellement, au contraire, les Data Scientists s’aperçoivent que notre intelligence ne fonctionne pas de cette manière, mais en lien avec nos émotions, selon une boussole, celle de l’alerte, de la fidélité, de l’immersion et de la projection.

Le Data Scientist et le publicitaire font tout pour capter notre intelligence et nous mettre en conscience de danger, en alerte (comme quand vous êtes au volant et qu’on vous klaxonne). Il en va de même quand vous recevez un pop up sur facebook.
La fidélité fait appel à une autre technique, là encore destinée à nous hypnotiser et capter notre attention, à l’instar du Journal de 20 h avec Claire Chazal ou Laurent Delahousse, ces repères qui répondent aux attentes et, le moment venu, nous transmettent subrepticement un message, notamment via les publicités qui ont lieu avant et après.
L’immersion correspond à ce qui se produit par exemple dans une salle de cinéma, en déconnexion de soi ; c’est en l’occurrence le moment idéal pour faire passer les messages.
Par la projection, au contraire, on ne voit que son projet – par exemple, partir en voyage. Dans ces moments, nous utilisons la volonté de notre conscience pour renforcer notre décision – procédé typiquement publicitaire.
Ces quatre modalités d’attention ont été mesurées et modélisées (cf. schéma).

  • Alerte / Fidélité renvoie à Certitude / Incertitude
  • Immersion / Projection renvoie à Détachement – intensité / Attachement – durée

Chaque pôle correspond à des capteurs :

  • pour certitude / attachement, ce sont les mesures d’audience ;
  • pour incertitude, ce sont les biocapteurs, le social listening, le suivi des messages sur Twitter ;
  • le eye tracking offre la capacité, notamment pour les jeux vidéo, de tracer la façon dont le regard circule.

Une science existe donc, et nous n’en sommes pas conscients.

Que pouvons-nous faire ?

Les quatre pôles mentionnés ci-dessus ont été définis pour permettre la captation de notre intelligence émotionnelle. Ils fonctionnent toutefois dans un cadre plus large. Ainsi, l’alerte s’associe aussi à une situation d’ouverture à la transcendance.
Une situation de fidélité se réfère à l’attachement à la tradition, de même que l’immersion et la projection renvoient respectivement aux questions de la loi et de la justice.

Plus fondamentalement, au-delà de ces quatre pôles, Mireille Delmas-Marty, professeure au Collège de France et spécialiste du droit international, pense que notre modernité ne fonctionne pas sur la dichotomie foi / raison, de même que le droit pyramidal coupé de toute transcendance ne fonctionne plus. Elle a créé une nouvelle conception des relations internationales, au sein de laquelle les pôles existent. Comme des marins pour sortir du Pot-au-noir, on peut les utiliser pour s’extraire d’une situation de stabilité en attrapant les vents de l’esprit. C’est ce qui permet de tenir ensemble des éléments qui paraissent contradictoires comme la concurrence et la coopération. Face à ces données à première vue antagonistes, des sources de discernement tel l’attachement aux droits humains ou aux droits de la personne, parviennent à réconcilier ces données.

On aboutit à une nouvelle conception des relations internationales, étayée par une nouvelle vision dynamique des principes, en lien avec une vision sociale des intérêts des États. C’est l’ONU, Organisation des nations unies, qui devrait porter le nom d’États-Unis, avec une approche et des moyens plus larges, au-delà des seuls moyens militaires. Elle devrait aussi intégrer les moyens de la loi, ainsi que ceux de la vérité, pour lutter contre la désinformation, et comporter explicitement des finalités comme le bien commun de la planète, de l’humanité et des générations à venir.

Cette nouvelle discipline de la science morale et politique rend possible l’élaboration de nouvelles solutions. C’est ce que propose Dominique Boullier dans sa note de juin 2024. Pour sortir de la nocivité des plateformes qui cherchent à nous subjuguer et à nous infantiliser, il préconise différentes mesures :

  • La réduction du rythme de propagation des messages – chaque jour, environ 500 millions messages sont tweetés et re-tweetés. D. Boullier compare leur hyper vélocité à un phénomène épidémiologique. Au même titre que nous avons pris des mesures de distanciation sociale au moment de la propagation du covid en 2020, il recommande la même attitude sur Internet pour contrer la viralité, en prévenant les re-tweets immédiats, en les espaçant dans le temps, voire en légiférant.
  • Selon lui, le Digital Services Act et la loi française AVIA qui évite la haine en ligne obéissent aux réflexes traditionnels de lutte pour la protection des données privées et ne sont pas adaptés à la démarche captologique. Les plateformes et leurs business modèles n’ont que faire des individus : ce n’est pas notre identité individuelle qui les intéresse, mais l’exploitation des traces de comportements agrégés en profils revendus comme produits prédictifs. Autrement dit, ce n’est pas l’identité de chacun qui est importante, mais son comportement de consommateur : sa consommation de shampoings à la pomme ou à la prune va permettre de pronostiquer que, une prochaine fois, il achètera un shampoing parfumé à la fraise… Les lois évoquées ci-dessus ne sont pas en mesure de contrer ce type d’intrusion. C’est au cœur même du business modèle qu’il faut s’attaquer, en comprenant surtout que la bataille actuelle ne vise pas seulement les États autoritaires telle la Russie et son déversement de fake news, mais aussi le libertarisme étasunien et ses plateformes, qui cherchent à imposer leur volonté et à éradiquer toute forme de régulation.
    Lors du sommet, à Paris sur l’intelligence artificielle, un débat du même ordre a opposé les partisans de la régulation – plus de 50 pays ont signé la déclaration qui la recommande, notamment pour protéger les enfants – à ceux (dont les États-Unis) qui refusent de la limiter pour des raisons éthiques.

La note de Dominique Boullier évoque une vingtaine de propositions, et fournit d’intéressantes références bibliographiques.

On peut aussi consulter sur Internet la déclaration de Reporters sans frontières, « L’IA et le droit à l’information » (https://rsf.org/fr/la-charte-de-paris-sur-l-ia-et-le-journalisme) et ses sept recommandations pour la protection de l’espace informationnel. Au niveau mondial, c’est cette association qui agit le plus nettement pour alerter, pour influencer l’adaptation de la législation européenne, pour exiger que les systèmes d’accès à l’information recourant à l’IA promeuvent des sources fiables et diverses, etc.

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